Il prend alors la nouvelle résolution – et ce fut le meilleur – de vaincre le monstre cruel avec d’autres armes, et de l’éblouir par la splendeur de l’écu magique. Il vole au rivage où la dame était liée au rocher nu, et, pour éviter toute surprise, il lui passe au petit doigt de la main l’anneau qui pouvait rendre vain l’enchantement. Je parle de l’anneau que Bradamante avait arraché à Bru- nel pour délivrer Roger, puis qu’elle avait donné à Mélisse lors- que cette dernière partit pour l’Inde, afin de le tirer des mains de la méchante Alcine. Mélisse, comme je vous l’ai dit précé- demment, après s’être servie de l’anneau pendant plusieurs jours, l’avait rendu à Roger, qui depuis l’avait toujours porté au doigt. Il le donne alors à Angélique, parce qu’il craint qu’il ne dé- truise l’effet fulgurant de son écu, et qu’il ne peut se défendre des yeux de la belle qui déjà l’avaient pris dans leurs rets. Ce- pendant l’énorme cétacé s’en vient, pesant sur la mer de son ventre puissant. Roger se tient à son poste et lève le voile, et il semble qu’un second soleil surgisse dans le ciel. La lumière enchantée frappe les yeux de la bête et produit son effet accoutumé. Comme la truite ou la carpe flottent à la surface de la rivière que le montagnard a troublée avec de la chaux, ainsi l’on peut voir, sur l’écume marine, le monstre hor- rible couché à la renverse. Deçà, delà, Roger le frappe, mais il ne trouve pas d’endroit où il puisse le blesser. Pendant ce temps, la belle dame le supplie de ne pas s’acharner en vain sur la dure écaille : « Reviens, pour Dieu, seigneur – disait-elle en pleurant – délie-moi avant que l’orque ne se relève. Emporte-moi avec toi, et noie-moi au milieu de la mer. Ne permets pas que je sois engloutie dans le ventre de ce poisson féroce. » Roger, ému à ces justes plaintes, délie la dame et l’enlève du rivage. – 198 –