Le destrier, excité par l’éperon, presse du pied le sable, s’élance dans les airs et galope à travers les cieux. Il porte le ca- valier sur son dos et la donzelle derrière lui sur sa croupe. Ainsi la bête fut privée d’un mets trop fin et trop délicat pour elle. Ro- ger s’en va, tout en se retournant, et il imprime mille baisers sur le sein et sur les yeux brillants d’Angélique. Il ne suivit plus la route qu’il s’était proposée d’abord, et qui devait lui faire faire le tour de l’Espagne ; mais il arrêta son destrier sur le plus prochain rivage, là où la basse Bretagne avance dans la mer. Sur la rive était un bois de chênes ombreux, où il semble que Philomèle exhale constamment sa plainte. Au milieu, il y avait un pré avec une fontaine. Sur chacun de ses côtés, s’élevait un mont solitaire. Ce fut là que le chevalier plein de désir arrêta sa course au- dacieuse, et descendit dans le pré, faisant replier les ailes à son destrier, non toutefois autant qu’il les avait déployées. À peine descendu de cheval, il a hâte d’en enfourcher un autre ; mais ses armes l’embarrassent, ses armes qu’il lui faut d’abord ôter, et qui mettent un obstacle à son désir. Enfiévré d’impatience, il arrachait sans ordre les diverses parties de son armure. Jamais elles ne lui semblèrent si longues à enlever. S’il dénouait une aiguillette, il en nouait deux. Mais, seigneur, mon chant est déjà trop long, et peut-être êtes-vous fatigué de l’écouter. C’est pourquoi je remets la suite de mon histoire à un moment qui vous soit plus agréable. – 199 –