Peu de jours avant, était née une querelle entre le comte Roland et son cousin Renaud22, tous les deux ayant pour cette rare beauté l’âme allumée d’amoureux désirs. Charles qui n’avait pas un tel conflit pour agréable, car il lui rendait leur concours moins entier, enleva cette donzelle qui en était la cause et la remit aux mains du duc de Bavière, La promettant en récompense à celui des deux qui, dans cette bataille, en cette grande journée, aurait occis une plus grande masse d’infidèles, et de son bras lui aurait le plus prêté l’appui. Mais le succès fut contraire à ses vœux, car en fuite s’en alla la gent baptisée, et, avec beaucoup d’autres, le duc fut fait prisonnier, laissant abandonné le pavillon. Où était demeurée la donzelle qui devait être la récom- pense du vainqueur. En présence du danger, elle était sautée en selle, et dès qu’il fallut, elle avait tourné les épaules, prévoyant qu’en ce jour la fortune devait être rebelle à la foi chrétienne. Elle entra dans un bois, et, sur le sentier étroit, elle rencontra un chevalier qui s’en venait à pied. La cuirasse au dos, le casque en tête, l’épée au flanc, l’écu au bras, il courait par la forêt, plus léger que le vilain à demi nu, vers le pallio rouge. La timide pastourelle ne se détourne pas si prestement devant un serpent cruel, qu’Angélique ne fut prompte à tourner bride dès qu’elle aperçut le guerrier qui s’en venait à pied. Celui-ci était ce vaillant paladin, fils d’Aymon, seigneur de Montauban, auquel peu auparavant son destrier Bayard était, par cas étrange, sorti des mains. Sitôt qu’il eut levé les regards 22 D'après les romans héroïques, Renaud, un des paladins de Char- les, était cousin de Roland. Il était fils d'Aymon de Darbena et de Béa- trice, fille de Naymes, duc de Bavière. Tous deux étaient de la maison de Clermont et de la famille des rois de France. – 20 –