C’est l’anneau qu’elle porta autrefois en France, la première fois qu’elle en prit le chemin avec son frère, possesseur de la lance, tombée par la suite au pouvoir du paladin Astolphe. C’est avec lui qu’elle déjoua les enchantements de Maugis 60 dans la caverne de Merlin, avec lui qu’elle délivra un matin Roland et d’autres chevaliers, tenus en servitude par Dragontine 61. Grâce à lui, elle sortit invisible de la tour où l’avait enfer- mée un méchant vieillard. Mais pourquoi vais-je rappeler toutes ces choses, puisque vous les savez aussi bien que moi ? Brunel, jusque dans sa propre demeure, vint lui ravir l’anneau qu’Agramant désirait posséder. Depuis, elle avait eu constam- ment la fortune contre elle, et finalement elle avait perdu son royaume. Maintenant qu’elle se le voit en main, comme je l’ai dit, elle se sent tellement saisir de stupeur et d’allégresse, que, comme si elle craignait d’être en proie à un songe vain, elle en croit à peine à ses yeux, à sa main. Elle l’enlève de son doigt, et après l’avoir tenu dans chacune de ses mains, elle le met dans sa bou- che. En moins de temps qu’un éclair, elle disparaît aux yeux de Roger, comme le soleil quand un nuage le voile. Cependant Roger regardait tout autour de lui, et tournait comme un fou. Mais se rappelant soudain l’anneau, il resta confus et stupéfait, maudissant son inadvertance et accusant la dame d’avoir payé par cet acte d’ingratitude et de déloyauté le secours qu’elle avait eu de lui. 60 Maugis, fils de Beuves d'Aigremont, était cousin de Bradamante. Il exerçait la magie. 61 Dragontine était une enchanteresse qui s'était emparée de Ro- land de la même façon qu'Alcine s'était emparée de Roger. (Voir Boïardo, liv. Ier, chant XIV) – 201 –