Il ne lui donne toutefois aucune aide, mais il se tient à l’écart et se contente de regarder. Voici qu’avec la massue, le plus grand frappe à deux mains sur le casque du plus petit. Sous le coup, le chevalier tombe. L’autre qui le voit par terre, privé de sentiment, lui délie le casque pour lui donner la mort, de sorte que Roger peut voir sa figure. Roger reconnaît le visage découvert de sa douce, belle et très chère dame Bradamante, et il voit que c’est à elle que l’impitoyable géant veut donner la mort. Aussi, sans perdre une seconde, il l’appelle à la bataille et apparaît soudain, l’épée nue. Mais le géant, sans attendre un nouveau combat, prend dans ses bras la dame évanouie. Il la place sur son épaule et l’emporte. Ainsi fait le loup pour le petit agneau ; ainsi l’aigle saisit dans ses serres crochues la colombe ou tout autre oiseau. Roger voit combien son inter- vention est urgente, et il s’en vient, courant le plus qu’il peut ; mais le géant marche si vite et à pas si longs, que Roger peut à peine le suivre des yeux. Ainsi courant, l’un devant, l’autre à sa suite, par un sentier ombreux et obscur qui allait en s’élargissant de plus en plus, ils sortirent du bois et débouchèrent dans un grand pré. Mais je ne vous parle pas davantage de cela, car je reviens à Roland qui avait jeté au plus profond de la mer l’arme foudroyante portée jadis par le roi Cimosque, afin qu’on ne la retrouvât plus jamais au monde. Mais cela servit peu, car l’impitoyable ennemi de l’humaine nature l’avait inventée, prenant exemple sur la foudre qui dé- chire les nuées et se précipite du ciel sur la terre. Il ne nous avait pas fait de don plus funeste, depuis qu’il trompa Ève avec la pomme. Il la fit retrouver par un nécromant, au temps de nos grands-pères, ou peu avant. – 204 –