La machine infernale, après être restée cachée pendant de longues années sous plus de cent brasses d’eau, fut ramenée à la surface par enchantement et portée tout d’abord chez les Alle- mands62. Ceux-ci, après de nombreuses expériences, et le dé- mon, pour notre malheur, leur ouvrant de plus en plus l’esprit, en retrouvèrent enfin l’usage. L’Italie, la France et toutes les autres nations du monde apprirent par la suite l’art cruel. Les uns donnèrent une forme creuse au bronze sorti liquéfié de la fournaise ; les autres percè- rent le fer et construisirent des armes de formes diverses, peti- tes ou grandes, et plus ou moins pesantes. Ils nommèrent les unes bombardes, du bruit qu’elles faisaient en éclatant ; les au- tres canons simples, d’autres canons doubles. Il y en eut qu’on appela fusil, fauconneau, couleuvrine, se- lon la fantaisie de leur inventeur. Toutes déchirent le fer, brisent et pulvérisent le marbre, et s’ouvrent un chemin partout où elles passent. Remets à la forge, ô malheureux soldat, toutes les ar- mes, jusqu’à ton épée, et prends sur ton épaule un mousquet ou une arquebuse, sans cela, je le sais trop, tu ne pourrais toucher aucune paye. Comment as-tu trouvé place dans le cœur de l’homme, ô scélérate et odieuse invention ? Par toi, la gloire militaire a été détruite ; par toi, le métier des armes est sans honneur ; par toi, la valeur et le courage ne sont plus rien, car le plus souvent le lâche l’emporte sur le brave. Grâce à toi, la vaillance et l’audace ne peuvent plus se prouver sur le champ de bataille. Par toi, sont déjà tombés et périront encore tant de sei- gneurs et de chevaliers, avant que s’achève cette guerre qui a 62 L'arme à feu fut découverte accidentellement par un alchimiste allemand qui la communiqua aux Vénitiens. Ceux-ci en firent pour la première fois usage en 1380 contre les Génois. – 205 –