Les épaules tournées vers la partie du rivage où il veut des- cendre, il tire les rames sur sa poitrine, comme le homard qui, de la mer, cherche à gagner le bord. C’était l’heure où la belle Aurore déployait ses cheveux d’or au soleil encore à moitié dé- couvert, à moitié caché, non sans exciter la colère de la jalouse Téthys. S’étant approché de l’écueil dénudé, à une distance que pourrait parcourir une pierre lancée par une main vigoureuse, il croit entendre une plainte, mais il n’en est pas bien sûr, telle- ment le bruit arrive à son oreille faible et confus. Aussitôt il se tourne vers la gauche, et ayant abaissé ses yeux sur les flots, il voit une dame nue comme à sa naissance, liée à un tronc d’arbre, et dont les pieds baignent dans l’eau. Comme il en est encore éloigné, et qu’elle tient le visage baissé, il ne peut pas la distinguer très bien. Il fait force de ra- mes et s’avance plein du désir d’en apprendre davantage. Mais au même moment, il entend la mer mugir, et résonner les ca- vernes ainsi que les forêts. Les ondes se gonflent, et voici qu’apparaît le monstre sous le ventre duquel la mer est presque cachée. Comme d’une vallée sombre s’élève la nue imprégnée de pluie et de tempête, puis se répand sur la terre, plus noire que la nuit et semble éteindre le jour, ainsi nage la bête ; et elle occupe une si vaste place sur la mer, qu’on peut dire qu’elle la tient toute sous elle. Les ondes frémissent. Roland, recueilli en lui- même, la regarde d’un air hautain et ne change ni de cœur ni de visage. Et comme celui qui est fermement résolu à accomplir ce qu’il a entrepris, il accourt en toute hâte. Pour défendre du même coup la damoiselle et attaquer la bête, il place l’esquif entre l’orque et sa proie. Laissant tranquillement son glaive au – 207 –