fourreau, il prend en main l’ancre et le câble, puis il attend, d’un grand cœur, l’horrible monstre. Dès que l’orque fut près, et qu’elle eut aperçu Roland à peu de distance d’elle, elle ouvrit, pour l’engloutir, une telle bouche qu’un homme y serait entré à cheval. Roland s’avance aussitôt et plonge dans la gueule avec l’ancre, et, si je ne me trompe, avec le bateau ; il attache l’ancre au palais et dans la langue molle, De façon que les horribles mâchoires ne puissent plus re- monter ni descendre. Ainsi, dans les mines, le fer étaye la terre où l’on pratique une galerie, afin qu’un éboulement subit ne vienne pas ensevelir le mineur occupé à son travail. D’un bec à l’autre l’ancre est si large, que Roland ne peut y arriver qu’en sautant. Après avoir placé ce support, et s’être assuré que le mons- tre ne peut plus fermer la bouche, il tire son épée, et dans cet antre obscur, deçà, delà, avec la taille et la pointe, il frappe. De même qu’une forteresse ne peut se défendre efficacement quand les ennemis ont pénétré dans ses murs, ainsi l’orque ne pouvait se défendre du paladin qu’elle avait dans la gueule. Vaincue par la douleur, tantôt elle s’élance hors de la mer et montre ses flancs et son échine écailleuse ; tantôt elle plonge, et, avec son ventre, elle remue le fond et fait jaillir le sable. Sen- tant que l’eau devient trop abondante, le chevalier de France se met à la nage. Il sort de la gueule où il laisse l’ancre fixée, et prend dans sa main la corde qui pend après. Et avec cette corde, il nage en toute hâte vers le rivage. Il y pose solidement le pied, et tire à lui l’ancre dont les deux poin- tes étaient serrées dans la bouche du monstre. L’orque est for- cée de suivre le câble mu par une force qui n’a pas d’égale, par une force qui, en une seule secousse, tire plus que ne pourraient le faire dix cabestans. – 208 –