De même que le taureau sauvage qui se sent jeté à l’improviste un lazzo autour des cornes, saute deçà, delà, tourne sur lui-même, se couche et se lève, sans pouvoir se débarrasser, ainsi l’orque, tirée hors de son antique séjour maternel par la force du bras de Roland, suit la corde avec mille soubresauts, mille détours étranges, et ne peut s’en détacher. Le sang découle de sa bouche en telle quantité, que cette mer pourrait s’appeler en ce moment la mer Rouge. Tantôt elle frappe les ondes avec une telle force, que vous les verriez s’ouvrir jusqu’au fond ; tantôt celles-ci montent jusqu’au ciel et cachent la lumière du soleil éclatant, tellement l’orque les fait rejaillir. À la rumeur, qui s’élève tout autour, on entend retentir les forêts, les montagnes et les plages lointaines. Le vieux Protée, entendant une telle rumeur, sort de sa grotte et s’élève sur la mer. Quand il voit Roland entrer dans l’orque et en sortir, et traîner sur le rivage un poisson si déme- suré, il s’enfuit à travers le profond océan, oubliant ses trou- peaux épars. Le tumulte s’accroît au point que Neptune, ayant fait atteler ses dauphins à son char, courut ce jour-là jusqu’en Éthiopie. Ino, toute en pleurs, tenant Mélicerte à son cou63 ; et les néréides aux cheveux épars ; les glauques tritons et les autres, s’en vont éperdus sans savoir où, les uns ici, les autres là, pour se sauver. Roland, après avoir tiré sur le rivage l’horrible pois- son, voit qu’il n’a plus besoin de s’acharner davantage après lui, car, épuisé par les blessures et la résistance qu’il avait opposée, il était mort avant de toucher le sable. 63 Pour se soustraire à la fureur d'Atamante, son époux, Ino se jeta dans la mer, ayant dans ses bras son fils Mélicerte. Tous deux furent changés en divinités marines. – 209 –