Bien que Roland fût tout couvert de sang et de vase – je veux parler du sang dont il s’était teint quand il sortit de l’orque où il était entré – le roi d’Hibernie le reconnut pour le comte, d’autant plus qu’en apprenant la nouvelle, il avait bien pensé qu’un autre que Roland n’aurait pu donner une telle preuve de force et de valeur. Il le connaissait, car il avait été infant d’honneur en France, et en était parti, l’année précédente, pour prendre la couronne que son père lui avait laissée en mourant. Il avait eu l’occasion de voir souvent Roland et de lui parler une infinité de fois. Il court l’embrasser et lui fait fête, après avoir ôté le casque qu’il avait sur la tête. Roland ne montre pas moins de contentement à voir le roi, que le roi n’en montre à le voir lui-même. Après qu’ils eurent l’un et l’autre redoublé leurs embrassements, Roland raconta à Obert la trahison faite à la jeune femme, et comment le perfide Birène en avait été l’auteur, lui qui aurait dû moins que tout au- tre s’en rendre coupable. Il lui dit les preuves d’amour qu’elle lui avait si souvent données ; comment elle avait perdu ses parents et ses biens, et comment enfin elle voulait mourir pour lui, ajoutant qu’il avait été témoin d’une grande partie de ces événements et qu’il pou- vait en rendre bon compte. Pendant qu’il parlait, les beaux yeux bleus de la dame s’étaient remplis de larmes. Son beau visage ressemblait à un ciel de printemps, quand la pluie tombe et qu’en même temps le soleil se dégage de son voile nuageux. De même que le rossignol secoue alors douce- ment ses plumes sous les rameaux reverdis, ainsi Amour se bai- gne dans les larmes de la belle et se réjouit de leur éclat. À la flamme de ces beaux yeux, il forge la flèche dorée qu’il trempe dans le ruisseau de larmes qui descend sur les fleurs – 213 –