Dès qu’Alzird vit s’approcher le comte qui n’avait pas son pareil au monde comme valeur, il lui parut à sa noble prestance, à son front superbe, l’égal du dieu des armes. Il resta stupéfait devant cette physionomie ouverte, ce fier regard, ce visage fa- rouche. Il pensa qu’il avait affaire à un guerrier de haute vail- lance, mais il eut trop de désir de l’éprouver. Alzird était jeune et présomptueux, estimé pour sa force et son grand cœur. Il poussa son cheval en avant pour se mesurer avec le comte. Il eût mieux fait de se tenir avec sa troupe, car au premier choc le prince d’Anglante le jette à terre après lui avoir traversé le cœur. Le destrier, ne sentant plus le frein, s’enfuit plein de terreur. Un cri subit, effroyable, s’élève, emplissant l’air de toutes parts, à la vue du jeune homme tombant et perdant son sang par une large ouverture. La troupe frémissante s’en vient au comte en désordre et le presse de la taille et de la pointe. C’est comme une tempête de dards empennés qui s’abat sur la fleur des chevaliers vaillants. La rumeur est pareille à celle produite par une troupe de sangliers qu’on voit courir sur les coteaux ou à travers les champs, lorsque le loup sorti de sa caverne obscure, ou l’ours descendu de la montagne, en ont pris un jeune. Toute la bande se lamente avec des grognements effroyables. Ainsi la foule des infidèles s’était précipitée vers le comte en criant : « Sus ! sus ! » En un instant la cuirasse reçoit mille coups de lance, de flè- che et d’épée, et l’écu autant. Les uns le frappent dans le dos avec la masse, les autres le menacent par côté, d’autres par de- vant. Mais lui, qui ne donna jamais accès à la peur, ne fait pas plus de cas de cette tourbe vile et de toutes ces armes, que le loup, dans l’obscurité de la bergerie, ne se préoccupe du nombre des agneaux. – 233 –