» Souviens-toi, païen, du jour où tu occis le frère d’Angélique. Ce frère, c’est moi. Avec le reste de mes armes, tu me promis de jeter, au bout de quelques jours, le casque dans la rivière. Or, si la fortune – ce que toi tu n’as pas voulu faire – a réalisé mon désir, ne t’en fâche pas ; et si tu dois te fâcher, que ce soit d’avoir manqué à ta parole. » Mais si pourtant tu as envie d’un casque fin, trouves-en un autre et conquiers-le avec plus d’honneur. Le paladin Roland en porte un semblable ; un semblable, et peut-être encore meil- leur, en porte Renaud. L’un appartint à Almont et l’autre à Mambrin 25. Acquiers l’un d’eux par ta valeur ; quant à celui-ci, que tu avais jadis promis de me laisser, tu feras bien de me le laisser en effet. » À l’apparition que l’ombre fit à l’improviste hors de l’eau, tout le poil du Sarrasin se hérissa, et son visage pâlit. Sa voix qui était prête à sortir, s’arrêta. Puis, s’entendant ainsi reprocher par Argail qu’il avait tué jadis, – il se nommait Argail – son manque de parole, il se sentit brûler au dedans et au dehors de honte et de colère. N’ayant pas le temps de chercher une autre excuse et re- connaissant bien qu’on lui disait la vérité, il resta sans réponse et la bouche close. Mais la vergogne lui traversa tellement le cœur, qu’il jura par la vie de Lanfuse 26 ne vouloir jamais plus 25 Dans un poème intitulé Aspramonte, et publié pour la première fois à Florence, en 1504, on lit que, pour venger la mort de son père tué par Almont, Roland tua ce dernier en combat singulier, et lui prit son casque, son armure enchantée, ainsi que son cheval Bride d'or et l'épée Durandal. Un autre roman, qui a pour titre : Les Amours de Renaud, parle d'un païen nommé Mambrin, venu à la tête d'une armée contre Charles, et tué, dans une bataille, par Renaud, qui s'appropria son cas- que. 26 Lanfuse était la mère de Ferragus. – 24 –