» De là, je fus transportée sur la galère, avant qu’on ne s’en fût aperçu en ville. De mes serviteurs surpris nus et désarmés, les uns s’enfuirent, les autres furent tués, quelques-uns furent emmenés captifs avec moi. Ainsi je quittai mon pays, avec une joie que je ne pourrais te dire, dans l’espoir de jouir bientôt de la présence de mon Zerbin. » Nous étions à peine parvenus à la hauteur de la Man- giane, lorsque nous fûmes assaillis sur notre gauche par un coup de vent qui obscurcit l’horizon jusqu’alors serein, troubla la mer et souleva les ondes jusqu’au ciel. Le mistral se mit à souffler en travers de notre route augmentant d’heure en heure en violence, à tel point que nous essayâmes en vain de louvoyer. » Vainement aussi on largua les voiles, on abaissa le mât sur le gaillard d’arrière ; nous nous voyions emportés malgré nous sur les écueils aigus qui sont devant la Rochelle. Si celui qui réside aux cieux ne nous était pas venu en aide, la tempête farouche nous eût brisés contre la terre. Le vent furieux nous poussait avec plus de rapidité qu’une flèche chassée de l’arc. » Le Biscayen, voyant le péril, usa d’un moyen qui trompe souvent. Il eut recours à un bateau dans lequel il me fit descen- dre avec lui. Deux de nos compagnons y descendirent aussi, et tout le reste les aurait suivis, si les premiers descendus l’avaient permis. Mais ils les écartèrent à coups d’épée. Puis ils coupèrent le câble, et nous prîmes le large. » Nous fûmes jetés sains et saufs sur le rivage, nous tous qui étions descendus dans le bateau ; tous les autres périrent avec le navire et furent la proie des flots. Pour moi, je levai les mains, rendant grâce à l’éternelle Bonté, à l’Amour infini qui m’avait sauvée de la fureur de la mer, afin de me permettre de revoir Zerbin. – 241 –