» J’avais laissé sur le navire mes riches vêtements, mes joyaux et mes autres choses précieuses, mais l’espoir de revoir Zerbin me restant, peu m’importait que la mer eût englouti tout ce que je possédais. Sur le rivage désolé, où nous étions descen- dus, il n’y a aucun sentier, aucune habitation ; on y voit seule- ment une montagne livrant au vent sa cime ombreuse, et bai- gnant ses pieds dans la mer. » Ce fut là qu’Amour, ce tyran cruel, toujours si peu loyal à tenir ses promesses, toujours préoccupé de savoir comment il pourra déjouer et ruiner nos desseins, changea d’une manière affreuse mon espoir en douleur, et mon bonheur en malheur irréparable. L’ami à qui Zerbin s’est fié brûle de désirs et sent sa fidélité se glacer. » Soit qu’il m’eût déjà désirée quand nous étions en mer, et qu’il n’eût pas trouvé l’occasion de montrer sa flamme ; soit que ses désirs eussent pris naissance en me voyant en sa puissance sur un rivage solitaire, il résolut d’assouvir sans plus de retard son immonde appétit. Mais auparavant il songea à se débarras- ser d’un des deux marins qui s’étaient échappés avec nous dans le bateau. » C’était un homme d’Écosse, nommé Almonio, et qui pa- raissait tout à fait dévoué à Zerbin, lequel l’avait recommandé à Orderic comme un guerrier accompli. Orderic lui dit que ce se- rait chose blâmable et imprudente que de me faire aller à pied jusqu’à la Rochelle ; il le pria en conséquence de nous y précé- der et de m’envoyer un cheval. » Almonio, qui ne concevait aucune crainte, partit immé- diatement pour la ville dont le bois nous cachait la vue, et qui n’était éloignée que de six milles. Orderic se décide alors à dé- couvrir son dessein à son autre compagnon, soit qu’il ne sache comment l’éloigner, soit qu’il ait en lui une entière confiance. – 242 –