» Celui dont je parle, et qui était resté avec nous, était un nommé Corèbe, de Bilbao, qui tout enfant avait été élevé dans la même maison qu’Orderic. Le traître croit pouvoir lui communi- quer sa coupable pensée, espérant qu’il serait plus sensible au plaisir de son ami qu’à l’honneur. » Corèbe, en homme gentil et courtois, ne put l’entendre sans ressentir une grande indignation. Il l’appela traître et s’opposa par ses paroles et par ses actes à son mauvais dessein. Tous deux, enflammés de colère, mirent l’épée à la main. En les voyant tirer le fer, poussée par la peur, je me mis à fuir à travers la forêt sombre. » Orderic, passé maître dans les armes, prit en quelques coups un tel avantage, qu’il renversa Corèbe à terre et le laissa pour mort. Il s’élança aussitôt sur mes traces, et je crois qu’Amour lui prêta ses ailes pour me rejoindre et lui enseigna toutes sortes de prières et de paroles séduisantes pour m’amener à l’aimer et à lui céder. » Mais tout fut vain. J’étais décidée à mourir plutôt que de le satisfaire. Après qu’il eut compris que les prières, les promes- ses ou les menaces ne lui servaient à rien, il voulut user de vio- lence. En vain, je le suppliai, en vain je lui parlai de la confiance que Zerbin avait mise en lui, et que j’avais eue moi-même en me remettant entre ses mains. » Voyant que mes prières ne le touchaient pas, que je n’avais à espérer aucun secours, et qu’il me pressait de plus en plus, ressemblant dans sa brutale concupiscence à un ours af- famé, je me défendis avec les pieds, avec les mains, avec les on- gles, avec les dents, je lui arrachai le poil du menton et lui dé- chirai la peau, tout en poussant des cris qui montaient jusqu’aux étoiles. – 243 –