» Je ne sais si ce fut l’effet du hasard, ou de mes cris qui devaient s’entendre à une lieue, ou bien encore la coutume qu’ont les habitants de ce pays d’accourir sur le rivage quand un navire s’y brise et s’y perd, mais je vis soudain apparaître au sommet de la montagne une troupe de gens qui se dirigea vers nous. Dès que le Biscayen la vit venir, il abandonna son entre- prise et prit la fuite. » Seigneur, cette foule me sauva de ce traître, mais, pour employer l’image souvent dite en proverbe, elle me fit tomber de la poêle dans la braise. Il est vrai que ces gens ne se sont pas encore montrés assez sauvages et cruels envers moi pour m’avoir fait violence ; mais ce n’est point par vertu, ni par bonne intention ; » Car s’ils me conservent vierge, comme je suis, c’est qu’ils espèrent me vendre plus cher. Voici bientôt huit mois accom- plis, et le neuvième va commencer, que mon corps a été enseveli ici tout vivant. J’ai perdu tout espoir de revoir mon Zerbin, car, d’après ce que j’ai déjà pu entendre dire par mes ravisseurs, ils ont promis de me vendre à un marchand qui doit me conduire au Soudan d’Orient. » Ainsi parlait la gente damoiselle, et souvent les sanglots et les soupirs interrompaient sa voix angélique, de façon à émou- voir de pitié les serpents et les tigres. Pendant qu’elle renouve- lait ainsi sa douleur, ou calmait peut-être ses tourments, une vingtaine d’hommes armés d’épieux et de haches entrèrent dans la caverne. Celui qui paraissait le premier entre eux, homme au visage farouche, n’avait qu’un œil dont s’échappait un regard louche et sombre. L’autre œil lui avait été crevé d’un coup qui lui avait coupé le nez et la mâchoire. En voyant le chevalier assis dans la grotte à côté de la belle jeune fille, il se tourna vers ses compa- – 244 –