« Ne crains pas – lui dit-elle – pour Roger, ô jeune fille, car il vit sain et sauf et t’adore toujours. Mais il est privé de sa liber- té que lui a encore enlevée ton ennemi. Il faut que tu montes en selle, si tu veux le délivrer, et que tu me suives sur-le-champ. Si tu me suis, je te fournirai le moyen par lequel tu rendras Roger libre. » Elle poursuivit en lui racontant quelle erreur magique avait ourdie Atlante, et comment, en montrant à Roger le beau visage de sa maîtresse qui semblait captive d’un farouche géant, il l’avait attiré dans le château enchanté, où la vision avait ensuite disparu. Elle lui dit comment, par une semblable tromperie, il retenait dans le même lieu les dames et les chevaliers qui y ve- naient. Tous, en voyant l’enchanteur, croient voir ce que chacun d’eux désire le plus ; sa dame, son écuyer, son compagnon d’armes, son ami ; car le désir humain n’est pas un. Tous vont à travers le palais, cherchant longtemps et sans autre résultat qu’une longue fatigue. Leur espérance et leur désir de retrouver l’objet de leurs vœux est si grand, qu’ils ne savent plus s’en aller. « Dès que tu seras arrivée – ajouta-t-elle – dans les envi- rons de cette demeure enchantée, l’enchanteur viendra à ta ren- contre sous l’apparence complète de Roger. Par son art détesta- ble, il te fera voir ton amant vaincu par quelqu’un de plus fort que lui, afin de t’engager à lui porter secours et de t’attirer ainsi là où, avec les autres, il te tiendra en son pouvoir. » Pour que tu ne te laisses pas prendre aux pièges dans les- quels sont tombés tous les autres, je t’avertis que ce n’est qu’une fausse semblance de Roger que tu verras t’appeler à son aide. Ne te laisse pas tromper, mais, dès qu’il s’avancera vers toi, ar- rache-lui son indigne vie. Ne crois pas que par là tu donneras la mort à Roger, mais bien à celui qui te cause tant d’ennuis. – 248 –