à m’échapper. Il fait des cavaliers et des piétons, ce que le loup fait des chèvres et des moutons. » Peu de jours auparavant, était arrivé à l’armée du roi d’Afrique un chevalier dont personne, dans le Ponant ou dans tout le Levant, n’égalait la force et le courage. Le roi Agramant l’avait accueilli avec de grands honneurs, car il était le fils et le successeur du vaillant roi de Tartarie, Agrican. Il se nommait le féroce Mandricard. Il s’était rendu fameux par de nombreux hauts faits, et il remplissait de sa renommée le monde entier. Mais ce dont il s’enorgueillissait le plus, c’était d’avoir conquis, dans un châ- teau de la fée de Syrie, le resplendissant haubert que le Troyen Hector avait porté mille ans auparavant. Il avait couru pour l’avoir une étrange et formidable aventure, dont le seul récit ex- cite la peur. Se trouvant présent lors du récit de l’écuyer du roi de Tré- misen, il avait levé son front hardi, et avait pris sur-le-champ la résolution de suivre les traces du guerrier inconnu. Il garda soi- gneusement son projet pour lui, soit qu’il n’eût d’estime pour aucun de ses compagnons d’armes, soit qu’il craignît, en se dé- voilant, qu’un autre tentât avant lui l’entreprise. Il demanda à l’écuyer comment était la soubreveste du che- valier. Celui-ci répondit : « Elle est toute noire ; l’écu est noir aussi, et il ne porte aucun cimier. » C’était la vérité, seigneur, car Roland, en quittant le quartier, avait voulu que, de même que son âme était en deuil, l’extérieur de sa mise fût de couleur sombre. Marsile avait donné à Mandricard un destrier, bai-châtain, avec les jambes et la crinière noires. Il était né d’une jument de Frise et d’un étalon d’Espagne. Mandricard saute sur lui tout armé et s’en va, galopant à travers la plaine. Il jure de ne point – 262 –