revenir parmi les escadrons sarrasins, avant d’avoir trouvé le champion aux armes noires. Il rencontra bientôt plusieurs des gens échappés des mains de Roland, encore tout dolents de la perte, qui d’un fils, qui d’un frère immolés à leurs yeux. La tristesse et la lâcheté de leur âme se voyaient encore peintes sur leur figure blême ; encore sous le coup de la peur qu’ils avaient eue, ils fuyaient, pâles, muets, af- folés. Après un court chemin, Mandricard arriva à un endroit où il eut sous les yeux un cruel et sanglant spectacle, mais un écla- tant témoignage des merveilleuses prouesses racontées en pré- sence du roi d’Afrique. Il voit de toutes parts des morts ; il les retourne et mesure leurs blessures, mû par une étrange jalousie contre le chevalier qui avait mis tous ces gens à mort. De même que le loup ou le mâtin, arrivés les derniers près du bœuf laissé mort par les paysans, ne trouvent plus que les cornes, les os et les pieds, le reste ayant été dévoré par les oi- seaux et les chiens affamés, et considèrent avec dépit le crâne où rien ne peut se manger ; ainsi faisait le cruel Barbare sur ce champ de carnage ; il blasphémait de colère, et montrait un vif dépit d’être venu si tard à un si copieux festin. Ce jour, et la moitié du suivant, il s’avança au hasard à la recherche du chevalier noir, dont il demandait sans cesse des nouvelles. Soudain il vit un pré couvert d’ombre, entouré d’un fleuve profond qui laissait à peine un petit espace libre d’où l’eau s’écoulait dans une autre direction. Ce lieu ressemblait à celui que le Tibre entoure sous les murs d’Otricoli. Plusieurs chevaliers, couverts de leurs armures, se tenaient à l’endroit par où l’on pouvait entrer. Le païen demanda qui les avait rassemblés là en si grand nombre, et pour quelle cause. Le capitaine, frappé de l’air imposant de Mandricard, et jugeant à – 263 –