Quand il la voit rompue, il prend à deux mains le tronçon qui est resté entier, et il en assomme tant d’adversaires, que ja- mais on ne vit semblable carnage. Pareil au juif Samson, qui exterminait les Philistins avec la mâchoire qu’il avait ramassée par terre, il fend les écus et brise les casques ; parfois, du même coup, il tue le cavalier et le cheval. Ces malheureux courent à l’envi à la mort ; si l’un tombe, l’autre continue la lutte, et la façon ignoble dont ils sont tués leur paraît plus cruelle que la mort elle-même. Ils ne peuvent supporter de se voir enlever la vie qui leur est chère par un tron- çon de lance, et de mourir sous d’étranges coups, comme des couleuvres ou des grenouilles. Mais, quand ils se furent aperçus que de toute façon il est désagréable de mourir, et près des deux tiers d’entre eux étant déjà tués, les autres commencèrent à fuir. Comme s’il les consi- dérait comme son propre bien, le cruel Sarrasin ne peut souffrir qu’un seul de cette troupe en déroute s’échappe de ses mains la vie sauve. De même que les roseaux desséchés dans les marais, ou le chaume dans les champs dénudés, ne résistent pas longtemps au souffle de Borée attisant le feu allumé par le prudent agri- culteur, alors que la flamme court par les sillons, crépite et crie, ainsi ces malheureux se défendent à peine contre la fureur dont Mandricard est enflammé. Dès qu’il voit sans défenseur l’entrée qui a été si mal gar- dée, il s’avance par le sentier fraîchement tracé dans l’herbe, guidé par les lamentations qu’il entend, pour voir si la beauté de la dame de Grenade mérite les éloges qu’on en fait. Il passe sur les corps des serviteurs morts, et suit les contours du fleuve. Il voit Doralice au milieu du pré – c’est ainsi que se nom- mait la donzelle – assise au pied d’un vieux frêne sauvage ; elle – 265 –