Mais la haute fantaisie, qui ne me permet pas de suivre toujours le même sentier, m’entraîne loin de là, et veut que je retourne vers l’armée mauresque qui assourdit la terre de France de sa rumeur et de ses cris, tout autour de la tente où le fils du roi Trojan défie le Saint-Empire, et où Rodomont, plein d’audace, se vante de brûler Paris et de détruire Rome la Sainte. Le bruit étant parvenu aux oreilles d’Agramant que les An- glais avaient déjà passé la mer, il fit appeler Marsile, le vieux roi de Garbe et les autres capitaines. Tous conseillent de faire un suprême effort pour prendre Paris, car on pouvait être certain qu’on ne le prendrait jamais, si on ne parvenait à s’en rendre maître avant l’arrivée des secours. Déjà dans ce but on avait rassemblé de toutes parts d’innombrables échelles, des planches, des poutres, des fascines pour pourvoir aux besoins divers, ainsi que des bateaux et des ponts ; il ne reste plus qu’à disposer l’ordre dans lequel seront donnés le premier et le second assaut. Agramant veut combattre au milieu de ceux qui doivent attaquer la ville. Quant à l’empereur, le jour qui précède la bataille, il or- donne aux prêtres et aux moines blancs, noirs et gris, de célé- brer dans tout Paris des offices et des messes. Ses soldats, après s’être confessés et s’être ainsi préservés des ennemis infernaux, communient tous, comme s’ils devaient mourir le jour suivant. Lui-même, au milieu des barons et des paladins, des prin- ces et des prélats, il donne aux autres l’exemple, en entendant avec beaucoup de piété les offices divins dans la cathédrale. Les mains jointes et les yeux levés au ciel, il dit : « Seigneur, bien que je sois plein d’iniquité et un impie, ta bonté ne voudra pas que ton peuple fidèle souffre à cause de mes fautes. » Et, si ta volonté est que notre erreur reçoive un juste châ- timent, au moins diffères-en la punition, de façon qu’elle ne – 269 –