Pensif, il resta plus d’une heure la tête basse, le dolent che- valier. Puis il commença, d’un ton affligé et bas, à se lamenter d’une si suave façon, qu’il aurait de pitié attendri un rocher et rendu clément un tigre cruel. Soupirant, il pleurait tellement que ses joues semblaient un ruisseau et sa poitrine un Mont- Gibel28. « Ô pensée, – disait-il – qui me glaces et me brûles le cœur, et causes la douleur qui sans cesse me ronge et me consume ! Que dois-je faire, puisque je suis arrivé trop tard, et qu’un autre, pour cueillir le fruit, est arrivé avant moi ? À peine en ai-je eu quelques paroles et quelques regards, et d’autres en ont toutes les dépouilles opimes. S’il ne m’en revient ni fruit, ni fleur, pourquoi mon cœur veut-il encore s’affliger pour elle ? » La jeune vierge est semblable à la rose qui, dans un beau jardin, sur le buisson natal, pendant qu’elle est seule, repose en sûreté, alors que le troupeau ni le pasteur n’est proche. La brise suave et l’aube rougissante, l’eau, la terre, lui prodiguent leurs faveurs ; les jeunes amants et les dames énamourées aiment à s’en parer le sein et les tempes. » Mais elle n’est pas plus tôt séparée de la branche mater- nelle et de sa tige verdoyante, que tout ce que des hommes et du ciel elle avait reçu de faveurs, de grâce et de beauté, elle le perd. La vierge qui laisse cueillir par un seul la fleur dont elle doit avoir plus de souci que de ses beaux yeux et de sa propre vie, perd dans le cœur de tous ses autres amants le prix qu’auparavant elle avait. » Qu’elle soit méprisée des autres, et de celui-là seul aimée à qui d’elle-même elle a fait un si large abandon. Ah ! fortune cruelle, fortune ingrate ! Ils triomphent, les autres, et moi je meurs d’abandon. Mais peut-il donc arriver qu’elle ne me soit 28 C’est ainsi que les Italiens appellent l’Etna. – 27 –