Ce n’est pas là qu’est le Silence ; on lui dit qu’il n’y habite plus, et que son nom seul y reste inscrit. Il n’y voit non plus ni la Piété, ni le Repos, ni l’Humilité, ni l’Amour Divin, ni la Paix. Ils y furent autrefois, il est vrai, dans les temps antiques. Mais ils en ont été chassés par la Gourman- dise, l’Avarice, la Colère, l’Orgueil, l’Envie, la Paresse et la Cruauté. L’ange s’étonne d’une chose si insolite. Et comme il regarde plus attentivement cette troupe abrutie, il voit que la Discorde est aussi avec elle ; La Discorde vers laquelle le père Éternel lui avait ordonné d’aller, après qu’il aurait trouvé le Silence. Il avait pensé qu’il lui faudrait prendre le chemin de l’Averne, car il croyait qu’elle se tenait parmi les damnés, et voilà – qui le croirait ! – qu’il la re- trouve dans ce nouvel enfer, au milieu des saints sacrifices et des messes ! Il paraît étrange à Michel de voir là celle qu’il ne comptait trouver qu’après un long voyage. Il la reconnaît à ses vêtements de mille couleurs, formés de bandes inégales, multiples et toutes déchirées, qui, agitées par les vents, ou entr’ouvertes par sa marche, tantôt la couvrent et tantôt la montrent nue. Ses cheveux, noirs et gris, mêlés de filets d’or et d’argent, sont tout en désordre. Les uns sont réunis en tresse, les autres retenus par un galon. Une partie est éparse sur ses épaules, l’autre dénouée sur son sein. Elle avait les mains et la poitrine couvertes d’assignations, de libelles, d’enquêtes, de papiers de procédure, et d’un grand tas de gloses, de consultations et d’écrits, au moyen desquels les biens des pauvres gens ne sont jamais en sûreté dans les villes. Devant, derrière, à ses côtés, elle était entourée de notaires, de procureurs et d’avocats. Michel l’appelle à lui et lui ordonne de se transporter parmi les plus braves des chevaliers sarrasins, et de faire en sorte de – 272 –