demeure du Sommeil, tu pourras sans faute l’y retrouver, car c’est là qu’il dort. » Bien que la Fraude ait l’habitude de tromper, ce qu’elle dit paraît si vraisemblable, que l’ange y croit. Il s’envole sans retard du monastère, ralentit le battement de ses ailes et calcule son chemin de façon à arriver à temps voulu à la demeure du Som- meil, où il savait bien trouver le Silence. Il existe, en Arabie, une vallée agréable, loin des cités et des hameaux, qui s’étend à l’ombre de deux montagnes et est cou- verte de sapins antiques et de hêtres robustes. En vain le soleil y projette ses clairs rayons ; il ne peut jamais y pénétrer, telle- ment les rameaux épais lui barrent le passage. Là s’ouvre une caverne souterraine. Sous la forêt obscure, une vaste et spacieuse caverne s’ouvre dans le roc. Le lierre rampant en couvre l’entrée de ses replis tortueux. C’est dans cette demeure que repose le Sommeil pesant. L’Oisiveté, corpulente et grasse, est dans un coin ; de l’autre, la Paresse est étendue sur le sol, car elle ne peut marcher et se tient difficilement sur ses pieds. L’Oubli qui a perdu la mémoire se tient sur le seuil. Il ne laisse entrer et ne reconnaît personne. Il n’écoute aucun mes- sage et ne répond jamais. Il écarte indifféremment tout le monde. Le Silence veille tout autour ; il a des chaussures en feu- tre et un manteau de couleur sombre. À tous ceux qu’il ren- contre, il fait de loin signe avec la main de ne pas approcher. L’ange s’approche de son oreille et lui dit doucement : « Dieu veut que tu conduises à Paris Renaud avec l’armée qu’il mène au secours de son prince. Mais il faut que tu le fasses si secrètement, que les Sarrasins n’entendent pas le moindre bruit, de façon qu’avant que la Renommée ait pu les aviser de l’arrivée de ces troupes, ils les aient sur les épaules. » – 274 –