Le Silence ne répond pas autrement qu’en faisant signe de la tête qu’il obéira. Il se met docilement à la suite du messager, et, d’un premier vol, tous deux arrivent en Picardie. Michel ex- cite les courageux escadrons ; il leur fait franchir en peu de temps un long espace, et les mène en un jour devant Paris. Au- cun d’eux ne s’aperçoit que c’est par un miracle. Le Silence courait tout autour, les enveloppant d’une im- mense nuée, tandis que le reste de l’atmosphère était en pleine lumière. Et cette nuée épaisse ne permettait pas d’entendre en dehors d’elle le son des trompettes et des clairons. Puis le Si- lence se rendit au camp des païens, répandant après lui un je ne sais quoi qui rend chacun sourd et aveugle. Pendant que Renaud – on voyait bien qu’il était conduit par l’ange – s’avançait avec tant de rapidité, et dans un tel si- lence qu’on n’entendait aucun bruit du camp sarrasin, le roi Agramant avait disposé son infanterie dans les faubourgs de Paris, sous les murailles et dans les fossés, pour tenter le jour même un suprême effort. Celui qui pourrait compter l’armée que le roi Agramant a rassemblée contre Charles, pourrait aussi compter tous les ar- bres des forêts qui se dressent sur le dos ombreux de l’Apennin, les flots de la mer qui baigne les pieds de l’Atlas en Mauritanie, alors qu’elle est le plus en fureur, ou les étoiles que le ciel dé- ploie à minuit sur les rendez-vous secrets des amoureux. Les campagnes résonnent au bruit des coups répétés et lu- gubres des cloches. Une foule innombrable remplit toutes les églises, levant les mains et implorant le ciel. Si les trésors de la terre étaient aussi prisés de Dieu que des hommes aveugles, le saint consistoire aurait pu en ce jour obtenir une statue d’or pour chacun de ses membres. – 275 –