tes comment on doit vaincre, en tuant nos ennemis et en nous conservant sains et saufs. C’est ce que ne sut pas faire le païen, trop téméraire à son propre détriment, en précipitant ses soldats dans le fossé, où la flamme soudaine et insatiable n’en épargna aucun et les dévora tous. Le fossé, quelque grand qu’il fût, n’aurait pu en contenir autant ; mais le feu restreignit leurs corps et les réduisit en cen- dres, afin que tous pussent tenir dans cet étroit espace. Onze mille et vingt-huit périrent dans cette fournaise où ils étaient descendus malgré eux ; mais ainsi le voulut leur chef peu sage. Leur vie s’est éteinte au milieu d’un si grand brasier, et maintenant la flamme vorace les ronge. Quant à Rodomont, cause de leur perte, il s’est tiré sain et sauf d’un tel désastre. D’un bond prodigieux il avait sauté de l’autre côté du fossé, au beau milieu des ennemis. Si, comme les autres, il était des- cendu dans cette caverne, il y aurait trouvé la fin de tous ses ex- ploits. Il se retourne alors vers cette vallée d’enfer, et quand il voit le feu s’élever si haut, quand il entend les plaintes et les hurlements des siens, il crie au ciel d’épouvantables blasphè- mes. Cependant, le roi Agramant avait fait livrer un vigoureux assaut à une des portes ; il croyait que, grâce à la terrible ba- taille qui se livrait d’un autre côté et où périssait tant de monde, il la trouverait insuffisamment gardée et qu’il pourrait s’en em- parer à l’improviste. Il avait avec lui Bambirague, roi d’Arzilla, et Balivers, adonné à tous les vices ; Corinée de Mulga ; le riche Prusion, roi des îles Fortu- nées70 ; Malabuferse, qui possède le royaume de Fezzan, où rè- gne un été continuel ; d’autres chevaliers, ainsi qu’un grand 70 Les anciens nommaient ainsi les îles Canaries. – 284 –