Si on lui coupe la tête, il se baisse et ne cesse de chercher à tâtons jusqu’à ce qu’il la retrouve. Alors, il la prend, tantôt par les cheveux, tantôt par le nez, et la fixe à son cou, je ne sais avec quels clous. Griffon parvient une fois à la saisir, et, étendant le bras, il la jette dans le fleuve, mais sans un meilleur résultat, car Orrile, qui nage comme un poisson, plonge et revient sur la rive sain et sauf avec sa tête. Deux belles dames, richement vêtues, l’une de blanc, l’autre de noir, se tenaient sur la rive et regardaient cet âpre combat dont elles étaient cause. C’étaient les deux fées bienfai- santes qui avaient élevé les fils d’Olivier après les avoir arrachés, encore au berceau, aux griffes aiguës de deux oiseaux gigantes- ques, Lesquels les avaient enlevés à Gismonda et transportés loin de leur pays natal. Mais je n’ai pas besoin de m’étendre sur ce sujet, car l’histoire est connue de tout le monde, bien que l’auteur, trompé sur le nom de leur père, l’ait confondu, je ne sais comment, avec un autre. Les deux jeunes guerriers livrent en ce moment un combat auquel les deux dames les ont pous- sés. Le jour, encore haut sur les îles Fortunées, avait déjà dispa- ru de ces climats ; l’ombre empêchait de bien distinguer les ob- jets sous la lumière incertaine et inégale de la lune, lorsque Or- rile rentra dans sa tour, les deux sœurs, dont l’une est blanche et l’autre noire, ayant cru devoir suspendre la terrible bataille jus- qu’à ce que le soleil eût de nouveau reparu sur l’horizon. Astolphe, qui depuis longtemps avait reconnu Griffon et Aquilant à leurs armes et surtout à leurs coups terribles, s’empressa de les saluer avec courtoisie. Ceux-ci, reconnaissant dans le vainqueur du géant enchaîné, le chevalier du Léopard – c’est ainsi qu’à la cour on appelait le duc, – l’accueillirent avec non moins d’empressement. – 298 –