Les dames conduisent alors les chevaliers se reposer dans leur palais qui était voisin. Des damoiselles, des écuyers, vien- nent à leur rencontre jusqu’à moitié chemin avec des torches allumées. Ils confient leurs destriers aux valets qui doivent en avoir soin, se débarrassent de leurs armes, et trouvent, au fond d’un beau jardin, une table servie, près d’une fontaine limpide et agréable. Ils font lier le géant avec une autre énorme chaîne, à un vieil arbre au tronc rugueux et que les plus fortes secousses ne pourraient rompre. Ils le donnent à garder à dix sergents d’armes, afin qu’il ne puisse se délier pendant la nuit, ni les as- saillir pendant qu’ils sont sans défiance. Devant l’abondante et somptueuse table dont la bonne chère fut le moindre attrait, les convives causèrent la plus grande partie du temps d’Orrile et de la merveilleuse faculté qu’il avait – ce qui semble un rêve à qui y pense – de remettre en place sa tête ou ses bras gisants à terre, et de revenir au com- bat toujours plus féroce. Astolphe avait déjà lu dans son livre qui enseignait à com- battre les enchantements, qu’on ne pourrait ôter la vie à Orrile avant de lui avoir coupé un cheveu placé sur sa tête. Dès que ce cheveu sera enlevé ou coupé, il devra malgré lui rendre l’âme. Voilà ce que disait le livre, mais il n’apprenait pas à reconnaître ce cheveu au milieu d’une si abondante chevelure. Astolphe ne se réjouit pas moins d’avance de la victoire que s’il la tenait déjà, car il espère, en peu de coups, arracher du mé- créant le cheveu et la vie. Il se promet de récolter pour son pro- pre compte toute la gloire d’une pareille entreprise. Il donnera la mort à Orrile, si toutefois il ne déplaît pas aux deux frères qu’il combatte à leur place. – 299 –