porte son esprit. Soudain en elle s’avive l’espérance de revoir bientôt sa riche demeure. Elle lui rend pleinement compte de ce qui lui est advenu à partir du jour où elle l’envoya demander du secours en Orient29, au roi des Séricans, Nabathès ; et comment Roland la garda souvent de la mort, du déshonneur, de tous les mauvais cas ; et qu’elle avait ainsi sauvé sa fleur virginale, telle qu’elle la reçut du sein maternel. Peut-être était-ce vrai ; pourtant, ce n’était pas croyable à qui de ses sens eût été le maître. Mais cela lui parut facilement possible, à lui qui était perdu dans une plus grande erreur. Ce que l’homme voit, Amour le lui rend invisible, et ce qui est invi- sible, Amour le lui fait voir. Cela fut donc cru, car le malheureux a coutume de donner facile créance à ce qu’il désire. « Si, par sa sottise, le chevalier d’Anglante sut si mal pren- dre le bon temps, il en supportera le dommage ; car, d’ici à long- temps, la fortune ne l’appellera à si grand bien. – Ainsi, à part soi, parlait Sacripant. – Mais moi, je me garderai de l’imiter, en laissant un tel bien qui m’est advenu, car ensuite je ne pourrais m’en prendre qu’à moi-même. » Je cueillerai la rose fraîche et matutinale, car en tardant, je pourrais perdre l’occasion. Je sais bien qu’à une dame on ne peut faire chose qui lui soit plus douce et plus plaisante, encore qu’elle s’en montre dédaigneuse et, sur le moment, en paraisse triste et tout en pleurs. Je ne me laisserai pas arrêter par une résistance ou un dédain simulés, que je n’aie déclaré et accompli mon dessein. » 29 Voir dans le Roland amoureux de Berni, chant XXIVe, stances 67 et suivantes, comment et pourquoi Angélique envoya Sacripant auprès de Gradasse, pour lui demander secours. – 30 –