Le champion inconnu qui était resté debout, voyant l’autre à terre avec le cheval, et estimant en avoir assez de cette ren- contre, ne daigna point recommencer le combat ; mais, par l’endroit de la forêt où le chemin est ouvert, courant à toute bride, il s’éloigne. Et avant que le païen soit sorti de son embar- ras, il est déjà à la distance d’un mille ou à peu près. Comme le laboureur étourdi et stupéfié, après que l’éclair est passé, se relève de l’endroit où le feu du ciel l’avait étendu près de ses bœufs morts, et aperçoit sans feuillage et déshonoré le pin que de loin il avait coutume de voir, tel se leva le païen ; remis sur pieds, Angélique étant témoin de sa rude aventure. Il soupire et gémit, non qu’il se soucie d’avoir les pieds et les bras brisés et rompus, mais seulement par vergogne. Durant toute sa vie, ni avant, ni après, il n’eut le visage si rouge. En ou- tre de sa chute, ce qui le fâchait, c’est que ce fut sa dame qui lui enleva ce grand poids de dessus les épaules. Il serait resté muet, je crois, si celle-ci ne lui avait rendu la voix et la langue. « Eh ! – dit-elle – seigneur, ne vous tourmentez pas ; de votre chute, la faute n’est pas à vous, mais à votre cheval, auquel repos et nourriture convenaient mieux que joute nouvelle. Quant à ce guerrier, sa gloire n’en sera pas accrue, car il a donné la preuve qu’il est le perdant. Cela me semble en effet résulter, selon ce que je sais, de ce qu’il a été le premier à abandonner le champ de bataille. » Pendant qu’elle réconforte le Sarrasin, voici venir, le cor et le havre-sac au flanc, et galopant sur un roussin, un messager qui paraît affligé et las. Dès qu’il fut près de Sacripant, il lui de- manda s’il n’avait pas vu passer par la forêt un guerrier à l’écu blanc, avec un blanc panache sur la tête. Sacripant répondit : « Comme tu vois, il m’a ici abattu, et il vient de partir tout à l’heure ; et pour que je sache qui m’a mis à – 32 –