» Puis il nous emporta dans sa tanière creusée au milieu d’un écueil sur le rivage, et qui était en marbre aussi blanc qu’une feuille de papier sur laquelle il n’y aurait encore rien d’écrit. Là habitait avec lui une matrone au visage accablé de douleur et de deuil. Elle était entourée de dames et de damoisel- les de tout âge, de toute condition, les unes laides, les autres belles. » Tout auprès était une grotte non moins vaste, où l’Ogre renfermait ses troupeaux. Il en avait tellement qu’on ne pouvait les compter. Il les conduisait au pâturage été comme hiver, les sortant et les enfermant lui-même à des heures fixes. Il les avait plutôt comme passe-temps que pour son usage. » La chair humaine lui semblait meilleure. Il nous le fit bien voir : à peine arrivé dans son antre, il mangea trois d’entre nous, ou plutôt il les engloutit tout vivants. Puis il alla vers la seconde grotte, souleva un grand rocher, en fit sortir le trou- peau, à la place duquel il nous enferma, et partit pour le mener selon son habitude au pâturage, en jouant d’un chalumeau qu’il portait au cou. » Cependant notre prince, de retour sur le rivage, com- prend son malheur. Un profond silence règne tout autour de lui ; il retrouve les débris des tentes et des pavillons détruits, brisés en mille pièces ; il ne sait qui peut l’avoir ainsi dépouillé. Plein de crainte, il descend sur le bord de la mer, et voit ses ma- telots lever en toute hâte les ancres et tendre les voiles. » Aussitôt qu’ils aperçoivent Norandin sur le rivage, ils en- voient une barque pour l’emmener. Mais le prince ayant appris comment l’Ogre était venu le voler, sans penser à autre chose, prend la résolution de le poursuivre partout où il sera. Il éprouve tant de douleur de l’enlèvement de Lucine, qu’il veut la retrouver ou mourir. – 331 –