vue, ô mon soleil ! Je pourrai m’en retourner d’ici comme j’y suis venu, et vous viendrez tous avec moi, si vous ne répugnez pas à vous imprégner, ainsi que je l’ai fait, de l’odeur d’un ani- mal infect.” » Puis il nous fait connaître la ruse que la femme de l’Ogre lui a suggérée à lui-même pour tromper l’odorat du monstre, et qui consiste à nous vêtir de peaux pour qu’il nous palpe impu- nément au sortir de la grotte. Quand chacun de nous eut bien compris, nous tuâmes autant de boucs que nous étions de pri- sonniers de l’un et de l’autre sexe, en ayant soin de choisir les plus fétides et les plus vieux. » Nous nous oignîmes le corps de la graisse que nous re- cueillîmes autour des intestins, et nous nous revêtîmes de leurs peaux hideuses. Pendant ce temps, le jour sortit de sa demeure dorée. Dès que le premier rayon du soleil apparut dans la ca- verne, le pasteur revint, et, soufflant dans ses roseaux sonores, il appela ses troupeaux dans la campagne. » Il tenait d’une main la pierre de la grotte pour que nous ne pussions pas sortir en même temps que le troupeau ; il nous saisissait au passage et ne laissait sortir que ceux auxquels il sentait de la peau ou de la laine sur le dos. Hommes et femmes, nous sortions tous par cet étrange chemin, couverts de nos cuirs poilus. L’Ogre ne retint aucun de nous. Lucine venait la der- nière, tremblante d’effroi. » Lucine, soit qu’elle n’eût pas voulu, par répugnance, s’oindre comme nous ; soit que sa démarche fût plus lente ou moins assurée que celle de la bête qu’elle devait imiter ; soit qu’elle eût poussé un cri d’épouvante quand l’Ogre la palpait ; soit enfin que ses cheveux se fussent dénoués, fut reconnue par l’Ogre, je ne saurais bien vous dire comment. – 335 –