Le Circassien descend de cheval et s’approche du destrier, pensant mettre la main sur le frein. De la croupe, le destrier lui fait riposte, prompt comme un éclair à se retourner, mais sans pouvoir l’atteindre avec les pieds. Malheur au chevalier si le cheval l’avait touché en plein, car il avait une telle force dans les jambes, qu’il aurait brisé une montagne de métal. Cependant, il va, radouci, vers la donzelle, avec une humble contenance et un geste humain, comme le chien qui saute au- tour de son maître resté deux ou trois jours absent. Bayard se souvenait encore que c’était elle qui, dans Albracca, le servait jadis de sa main 31, au temps où elle avait tant aimé Renaud alors cruel, alors ingrat. De la main gauche elle prend la bride, de l’autre elle touche et palpe le col et la poitrine, et ce destrier qui avait une intelli- gence étonnante, se soumet à elle comme un agneau. Pendant ce temps, Sacripant saisit le moment, saute sur Bayard et le tient serré de l’éperon. La donzelle abandonne la croupe du roussin allégé et se replace en selle. Alors, jetant les yeux autour d’elle, elle voit venir, faisant résonner ses armes, un piéton de haute taille. Elle devient toute rouge de dépit et de colère, car elle reconnaît le fils du duc Aymon. Plus que sa vie, celui-ci l’aime et la désire ; elle le hait et le fuit plus que la grue ne fuit le faucon. Jadis, c’était lui qui la haïssait plus que la mort et elle qui l’aimait. Maintenant, ils ont changé de rôle. Et ceci a été causé par deux fontaines dont les eaux ont un effet contraire ; toutes deux sont dans l’Ardenne et non loin l’une de l’autre. D’amoureux désirs l’une emplit le cœur ; qui 31 Voir dans Boïardo, livre 1er, chant XXIX, et dans le Berni, chants XXVI et XXVIII, de quelle façon Bayard avait été laissé par Roland à An- gélique, qui l'avait ensuite envoyé à Renaud. – 34 –