Qu’il le crût ou non, le jeune chevalier accepta ses excuses ; mais il jugea prudent de partir sur-le-champ sans en rien dire à personne, dans la crainte que le peuple, s’il voyait Martan repa- raître, ne vînt à se soulever aussitôt. Suivant une rue courte et déserte, ils sortirent de la ville. Griffon, soit que son cheval fût fatigué, soit que lui-même sentît le sommeil appesantir ses paupières, s’arrêta à la pre- mière hôtellerie qu’ils trouvèrent, bien qu’ils n’eussent pas mar- ché plus de deux milles. Il retira son casque, se désarma com- plètement et fit enlever aux chevaux la selle et la bride. Puis, s’étant enfermé seul dans une chambre, il se déshabilla et se mit au lit pour dormir. Il n’eut pas plus tôt la tête basse, qu’il ferma les yeux et qu’il fut pris d’un sommeil si profond, que jamais blaireau ni loir ne dormirent de telle sorte. Pendant ce temps, Martan et Origile, étant à se promener dans un jardin voisin, ourdirent la plus étrange trahison qui soit jamais venue à l’esprit humain. Martan propose d’enlever le destrier, les habits, et les ar- mes de Griffon, et d’aller se présenter au roi comme étant le chevalier qui avait accompli tant de prouesses pendant le tour- noi. L’exécution suit de près la pensée. Il prend le destrier plus blanc que le lait, et se couvre du cimier, de l’écu, des armes, du pourpoint, enfin de tous les vêtements blancs de Griffon. Il arrive, suivi des écuyers et de la dame, sur la place où toute la population était encore, juste au moment où finissent les passes d’armes. Le roi ordonne de chercher le chevalier dont le cimier est orné de plumes blanches, qui porte une blanche armure, et dont le coursier est également blanc. Il ignorait en effet le nom du vainqueur. Le misérable qui était revêtu des vêtements qui ne lui ap- partenaient pas, semblable à l’âne couvert de la peau du lion, – 346 –