Si Norandin avait pensé de même, il n’aurait pas agi envers Griffon comme il le fit. C’est pourquoi un éternel honneur vous attend, tandis que sa renommée est plus noire que la poix. À cause de lui, ses sujets reçurent la mort, car Griffon en dix coups de taille, et en dix coups de pointe qu’il porta dans sa fureur et sa rage de vengeance, en coucha trente auprès du char. Les autres s’enfuient, où la terreur les chasse, de çà, de là, dans les champs et dans les chemins. Un grand nombre courent vers la ville où ils essaient d’entrer, et tombent les uns sur les autres devant la porte trop étroite. Griffon ne leur adresse ni paroles ni menaces, mais, dépouillant toute pitié, il promène son glaive dans la foule désarmée, et tire de l’insulte qu’on lui a faite une grande vengeance. Ceux qui arrivèrent les premiers à la porte, grâce à leur promptitude à prendre la fuite, plus préoccupés de leur salut que de leurs amis, levèrent en toute hâte le pont. Le reste de la foule, la pâleur au front et les larmes aux yeux, fuyait sans tour- ner la tête. Dans toute la ville, ce ne fut qu’un cri, qu’un tumulte, qu’une rumeur immense. Griffon en saisit deux des plus robustes parmi ceux qui, pour leur malheur, ont vu le pont se lever devant eux ; il fait jail- lir la cervelle de l’un d’eux dans les champs, en lui brisant la tête contre une pierre ; il prend l’autre par la poitrine, et le lance au milieu de la ville, par-dessus les murs. Un frisson glacial par- court les os des paisibles bourgeois, quand ils voient cet homme leur tomber du ciel. Beaucoup craignent que le terrible Griffon ne saute lui- même par-dessus les remparts. Il n’y aurait pas eu plus de confusion, si le soudan eût livré l’assaut à Damas. Le bruit des armes, les gens qui courent affolés, le cri des muezzins poussé – 353 –