Il roule des regards terribles, et voit que de tous côtés le passage lui est fermé. Mais il saura vite s’en ouvrir un sur les cadavres d’une infinité de gens. Il fait vibrer son épée tran- chante, et se précipite, impitoyable et furieux, sur la troupe des Anglais qu’entraînent Odoard et Ariman. Celui qui a vu le taureau harcelé tout un jour par les chiens, et agacé par la foule qui se presse autour de lui, rompre ses liens et s’élancer sur la place au milieu de la population qui fuit, enle- vant avec ses cornes tantôt l’un, tantôt l’autre, pourra s’imaginer combien terrible devait être le cruel Africain, quand il se préci- pita en avant. Il perce de part en part quinze ou vingt des assaillants ; il abat autant de têtes ; à chaque coup il renverse un homme : on dirait qu’il taille ou qu’il élague des ceps de vigne ou des bran- ches de saule. Le féroce païen, tout couvert de sang, laissant sur son passage des montagnes de têtes, de bras, d’épaules, de jam- bes coupés, opère enfin sa retraite. Il parcourt d’un coup d’œil toute la place, sans qu’on puisse voir la moindre peur sur son visage. Cependant, il cherche par où il pourra s’ouvrir un chemin plus sûr. Il prend enfin le parti de gagner la Seine, à l’endroit où elle sort des murs de la ville. Les hommes d’armes et la populace rendue audacieuse, le ser- rent, l’étreignent, et ne le laissent point se retirer en paix. Comme le lion généreux, chassé à travers les forêts de la Numidie ou de la Libye, donne encore en fuyant des preuves de son courage, et rentre lentement sous bois l’œil plein de mena- ces, ainsi Rodomont, sans donner aucun signe de peur, au mi- lieu d’une forêt de lances, d’épées et de flèches, se retire vers le fleuve, à pas lents et comptés. À trois ou quatre reprises, la colère le saisit tellement, que, déjà hors des atteintes de la foule, il revient d’un bond au milieu – 356 –