Martan aurait pu voir réussir sa suprême fourberie, et faire croire facilement qu’il disait la vérité en ce qui concernait la fa- çon dont il avait enlevé les armes et le destrier de Griffon. Mais il voulut aller trop loin, et c’est alors que le mensonge devint évident. Tout le reste aurait pu passer, s’il n’avait pas dit que la femme qui l’accompagnait était sa sœur. Mais Aquilant avait entendu dire à Antioche, par un grand nombre de personnes, qu’elle était sa concubine. Aussi, en- flammé de colère, il s’écrie : « Infâme voleur, tu en as menti ! » Et il lui assène en plein visage un tel coup de poing, qu’il lui casse deux dents. Puis, sans plus d’explication, il lui lie les deux bras derrière le dos avec une corde. Il en fait autant à Origile, malgré tout ce qu’elle peut dire pour s’excuser. Aquilant les emmène ainsi par les châteaux et les villages jusqu’à Damas. Il les traînera pendant mille milles et plus, s’il le faut, sans égards pour leurs souffrances et leurs gé- missements, jusqu’à ce qu’il ait retrouvé son frère, qui disposera d’eux à sa guise. Aquilant fait aussi revenir avec lui leurs écuyers et leurs bagages, et ils arrivent tous à Damas. Là, le nom de Griffon re- tentit par toute la ville. Petits et grands, chacun sait maintenant que c’est lui qui a si bien combattu dans le tournoi, et que la gloire lui en a été ravie par la trahison de son compagnon. La population tout entière, qui reconnaît le vil Martan, le montre du doigt : « N’est-ce pas là – disait-on – n’est-ce pas ce ribaud qui s’attribue les exploits d’un autre, et couvre de son infamie et de son opprobre celui dont la valeur n’avait mérité que des éloges ? N’est-ce pas là l’ingrate femme qui trahit les vaillants en faveur des lâches ? » D’autres disaient : « Comme ils sont bien ensemble ! tous deux sont de même race et marqués au même coin. » Les uns – 369 –