courant de côté et d’autre, et s’efforcent, avec l’aide des chefs, de regagner le camp en bon ordre. Mais pas plus le roi que Sobrin, ni qu’aucun chef, ne peut parvenir, soit par prières, soit par menaces, soit par force, à en rallier seulement le tiers, bien loin de pouvoir les ramener tous là où s’en vont les enseignes mal suivies. Pour un qui reste, non sans courir de grands dangers, deux sont morts ou en fuite ; les uns sont blessés en pleine poitrine, les autres dans le dos ; tous sont accablés de fatigue. En proie à la terreur, ils se laissent chasser jusqu’aux por- tes de leur camp fortifié, qui n’aurait même pas pu les protéger suffisamment – car Charles savait saisir l’occasion par les che- veux quand elle se présentait à lui – si la nuit n’était venue. La nuit, pleine de ténèbres et qui apaise toute chose, arrête la pour- suite. Elle avait peut-être été avancée par l’Éternel qui eut pitié de sa créature. Le sang ruisselait par la campagne, et courait comme un grand fleuve, inondant les routes. On compta quatre- vingt-dix mille combattants passés en ce jour au fil de l’épée. Les villageois et les loups, sortis de leurs repaires, vinrent les dépouiller et les dévorer pendant la nuit. Charles ne rentre pas dans la ville ; il campe en dehors, à côté de l’ennemi, dont il fait entourer le camp de feux gigantes- ques, comme s’il voulait l’assiéger. Les païens s’empressent de creuser la terre et d’élever des remparts et des bastions. Leurs gardes veillent, et ne quittent pas leurs armes de toute la nuit. Toute la nuit, dans les logements des Sarrasins peu rassu- rés, ce ne sont que pleurs, gémissements, lamentations ; mais on les étouffe le plus que l’on peut. Les uns pleurent leurs amis, leurs parents morts et abandonnés sur le champ de bataille ; les – 384 –