distinguaient les deux forteresses qui fermaient l’entrée du port. En reconnaissant la route qu’il suivait, le patron recommença à pâlir, car il ne voulait pas aborder à ce port, et ne pouvait re- prendre la haute mer pour le fuir. Il ne pouvait ni fuir ni reprendre la haute mer, ayant perdu ses mâts et ses antennes, et son pont, ainsi que ses maîtresses pièces, ayant été détruit, emporté ou abattu par les vagues. Aborder au port, c’était affronter la mort ou un perpétuel escla- vage, tous ceux que leur erreur ou la mauvaise fortune y pous- sait y recevant la mort ou étant retenus prisonniers. Rester plus longtemps sans prendre un parti offrait aussi un grand danger, car les habitants pouvaient à chaque instant sortir sur des barques armées et attaquer le navire, qui, loin de pouvoir se défendre, avait peine à se maintenir à flot. Pendant que le patron était indécis, le duc d’Angleterre lui demanda ce qui causait son hésitation, et pourquoi il n’avait pas encore abordé au port. Le patron lui répond que ces rivages sont occupés par des femmes homicides, dont l’antique loi ordonne de tuer ou de re- tenir en esclavage quiconque y aborde. Celui-là seul peut échap- per à cette double alternative, qui, après avoir vaincu dix cheva- liers en champ clos, peut, la nuit suivante, livrer assaut dans le lit à dix donzelles. Quand bien même il aurait triomphé de la première épreuve, il est mis à mort s’il ne surmonte pas la seconde, et ses compagnons sont contraints à servir comme laboureurs ou gar- deurs de troupeaux. Si, au contraire, il parvient à vaincre dans les deux cas, il obtient la liberté de tous les siens. Quant à lui, il est retenu prisonnier, et doit servir d’époux à dix femmes, choi- sies à son goût. – 402 –