Après s’être entendus, ils chargent d’un commun accord le patron de répondre qu’il y a sur le navire des gens disposés à affronter les dangers du champ clos et du lit. Aussitôt tous les obstacles s’abaissent, le pilote accoste, déploie le câble et fait mordre l’ancre ; le pont est jeté, et les guerriers sortent du na- vire, tirant leurs destriers après eux. Puis ils vont à travers la ville, qu’ils trouvent pleine de don- zelles hardies, chevauchant dans les rues et luttant sur les places comme de vraies guerrières. Ici, il est défendu aux hommes de chausser l’éperon, de ceindre l’épée ou de porter aucune arme, excepté toutefois aux dix qui sont chargés de faire respecter l’antique coutume que je vous ai dite. Tous les autres tiennent la navette, l’aiguille, le fuseau, ou sont occupés à se peigner et à se parer. Vêtus d’habits de femme, ils vont toujours à pied, ce qui leur donne un air mou et efféminé. Quelques-uns sont enchaînés et réservés pour les tra- vaux de l’agriculture, ou pour la garde des troupeaux. En somme, les hommes sont peu nombreux ; c’est à peine si, pour mille femmes, on en compte cent, dans la ville et dans toute la contrée. Les chevaliers conviennent de tirer au sort celui d’entre eux qui devra, pour le salut commun, lutter contre les dix cham- pions dans la lice, et combattre ensuite sur un autre champ de bataille. Ils veulent écarter Marphise, estimant qu’elle ne peut songer à vaincre dans la seconde joute, car elle n’a pas ce qu’il faut pour remporter la victoire sur ce point. Mais elle exige de participer au tirage, et, en définitive, le sort tombe sur elle. Elle dit : « Je perdrai la vie avant que vous perdiez la liberté. Mais cette épée – et elle leur montre l’épée qu’elle porte au côté – doit vous rassurer et vous convaincre que je saurai triompher de tous les obstacles, à la façon d’Alexandre qui trancha le nœud gordien. – 405 –