» Mais je n’ai pu achever mon voyage, ayant été poussé sur ce rivage par la tempête. Voilà dix mois, ou plus peut-être, que j’y suis retenu, et que j’y compte les jours et les heures. Mon nom est Guidon le Sauvage. Il est encore connu par peu d’exploits. Je tuai ici Argilon de Mélibée et dix chevaliers qu’il avait avec lui. » Je subis également l’épreuve des donzelles. Maintenant j’en ai dix à ma disposition pour mes plaisirs. Je les ai choisies parmi les plus belles, et elles sont en effet les plus gentes de tout le royaume. Je leur commande ainsi qu’à toutes les autres, car elles m’ont remis le sceptre et le gouvernement, comme elles le donneront à quiconque verra la fortune lui sourire, et mettra les dix champions à mort. » Les chevaliers demandent à Guidon pourquoi il y a si peu d’hommes dans le pays, et pourquoi ils sont assujettis aux fem- mes, comme celles-ci le sont à leurs maris dans les autres contrées. Guidon leur dit : « J’en ai entendu souvent raconter le motif depuis que je demeure en ces lieux, et puisque cela vous est agréable, je vais vous le répéter comme je l’ai entendu moi- même. » À l’époque où les Grecs revinrent de Troie, après vingt années d’absence – le siège avait duré dix ans, et ils furent pen- dant dix ans le jouet des vents contraires – ils trouvèrent que leurs femmes, pour se consoler des chagrins d’une si longue ab- sence, avaient toutes pris de jeunes amants, afin, sans doute, de ne point se refroidir dans leur lit solitaire. » Les Grecs trouvèrent leurs maisons pleines d’enfants qui étaient à d’autres qu’à eux. Cependant, d’un commun accord, ils pardonnèrent à leurs femmes, comprenant bien qu’elles n’avaient pu jeûner si longtemps. Mais ils résolurent d’expulser les fils de l’adultère, et de les envoyer chercher fortune ailleurs, – 415 –