ble tempête, il soulève la mer avec une telle rage autour du na- vire, qu’il l’envoie baigner la pointe des huniers. Les marins expérimentés carguent aussitôt les grandes voi- les, et pensent à virer de bord et à retourner dans le port d’où, par une mauvaise inspiration, ils ont fait sortir le navire. « Il ne me convient pas – dit le vent – de permettre une telle licence, car vous vous l’êtes vous-mêmes enlevée. » Et il souffle, et il crie, et il les menace de naufrage, s’ils vont ailleurs que là où il les chasse. Tantôt à bâbord, tantôt à tribord, ils ont le cruel qui jamais ne cesse et revient toujours plus violent. De çà, de là, avec les petites voiles, ils vont tournant et parcourant la haute mer. Mais parce que j’ai besoin de fils variés pour les diverses voiles que je prétends ourdir, je laisse Renaud et sa nef agitée, et je reviens à parler de sa sœur Bradamante. Je parle de cette remarquable damoiselle par qui le roi Sa- cripant fut jeté à terre et qui, digne sœur de ce seigneur, naquit du duc Aymon et de Béatrice. Sa grande valeur, son ardeur en- traînante, dont elle fit voir plus d’une preuve solide, ne plai- saient pas moins à Charles et à toute la France, que la valeur si prisée du bon Renaud. La dame était aimée par un chevalier qui vint d’Afrique avec le roi Agramant, et que la malheureuse fille d’Agolante34 avait engendré de la semence de Roger. Et celle-ci, qui n’était issue ni d’un ours ni d’un lion cruel, ne dédaigna point un tel amant. Cependant, hormis une seule fois, la fortune ne leur a point permis de se voir et de se parler. 34 Galacielle, dont on lira l'histoire dans le chant XXXVI. Boïardo, dans le XXVIIe chant de son livre Ier, raconte que le père de Galacielle, nomme Agolante, fut tué par Roland. Elle avait eu d'un chevalier, appelé Roger de Risa, un fils nomme aussi Roger, le principal héros du poème d'Arioste, et qu'aimait Bradamante. – 42 –