Bradamante s’en allait à la recherche de son amant, qui portait le même nom que son père, aussi en sûreté sans escorte, que si elle avait eu mille escadrons pour sa garde. Après qu’elle eut fait baiser au roi de Circassie le visage de l’antique mère, elle traversa un bois, et, après le bois, une montagne, jusqu’à ce qu’elle fût arrivée à une belle fontaine. La fontaine courait au milieu d’un pré orné d’arbres anti- ques et de beaux ombrages, et, par un murmure agréable, invi- tait les passants à boire et à y faire séjour. Un petit coteau culti- vé la défend à main gauche de la chaleur du midi. Là, aussitôt qu’elle y eut porté ses beaux yeux, la jeune fille aperçut un che- valier. Un chevalier qui, à l’ombre d’un bosquet, sur la rive à la fois verte, blanche, rouge et jaune, se tenait pensif, silencieux et solitaire, sur le clair et limpide cristal. Non loin de lui, son écu et son casque étaient suspendus à un hêtre, auquel était attaché son cheval. Il avait les yeux humides et le visage incliné, et pa- raissait chagrin et las. Ce désir que tous ont dans le cœur de s’informer des affai- res des autres, fit demander à ce chevalier, par la damoiselle, la cause de sa douleur. Il la lui découvrit tout entière, touché par sa courtoisie et sa fière prestance qui, au premier aspect, lui pa- rut être celle d’un chevalier très vaillant. Et il commença : « Seigneur, je conduisais des piétons et des cavaliers, et j’allais au camp où le roi Charles attend Marsile pour s’opposer à sa descente des montagnes. Et j’avais avec moi une belle jeune fille, pour laquelle mon cœur brûle de fervent amour, lorsque je rencontrai près de Rodonne, un chevalier ar- mé qui montait un grand destrier ailé. – 43 –