Aucun de ses compagnons ne partageant son avis, elle par- tit donc seule, poursuivant sa route à travers les bois et les sen- tiers inconnus. Griffon le Blanc et Aquilant le Noir prirent avec les autres la voie la plus fréquentée, et arrivèrent le jour suivant à un château où ils furent très courtoisement hébergés. Je dis courtoisement en apparence, car ils ne tardèrent pas à éprouver un tout autre traitement. Le seigneur du château, qui les avait tout d’abord reçus en feignant une grande courtoisie, les fit saisir dans leur lit, la nuit venue, et pendant qu’ils dor- maient sans défiance. Il ne leur rendit la liberté qu’après leur avoir fait jurer d’observer une infâme coutume. Mais, seigneur, ayant de vous parler davantage d’eux, je veux suivre la belliqueuse dame. Elle passa la Durance, le Rhône et la Saône et arriva au pied d’une montagne dénudée. Là, le long d’un torrent, elle vit venir une vieille femme habillée de noir, qui paraissait fatiguée et lasse d’une longue route, mais surtout accablée de mélancolie. C’était la vieille qui servait les malandrins dans la caverne où la justice conduisit, pour lui donner la mort, le comte pala- din. La vieille qui craignait de mourir à cause des comptes qu’elle aurait à rendre après sa mort, fuyait depuis plusieurs jours par les chemins obscurs et détournés de peur de ren- contrer quelqu’un qui la reconnût. Jugeant aux vêtements et aux armes de Marphise que c’est un chevalier étranger, elle ne s’enfuit pas à sa vue, comme elle avait l’habitude de faire quand elle se trouvait sur le passage de gens du pays. S’arrêtant au contraire avec assurance et har- diesse, elle l’attend de loin au passage du gué. Dès que Marphise est arrivée au gué du torrent, la vieille s’avance à sa rencontre et la salue. – 435 –