Bien qu’encore enflammé de colère, Zerbin ne put s’empêcher de rire, en voyant la vieille, dont la figure ridée fai- sait un contraste bizarre avec les vêtements de jeune fille qu’elle portait. S’adressant à Marphise qui chevauchait à côté d’elle, il dit : « Guerrier, tu es plein de prudence, car tu as choisi, pour t’escorter, une damoiselle de prestance telle que tu n’as pas à craindre de rencontrer âme qui te l’envie. » La vieille, autant qu’on pouvait en juger par sa peau ridée, était plus âgée que la Sibylle, et ressemblait, ainsi parée, à une guenon qu’on aurait habillée pour se divertir. La colère qui bril- lait dans ses yeux la faisait paraître encore plus laide. La plus grande injure que l’on puisse faire à une femme, c’est de la trai- ter de vieille ou de laide. Marphise, qui prenait plaisir à ce jeu, feignit de s’indigner, et répondit à Zerbin : « Par Dieu, ma dame est plus belle que tu n’es courtois. Mais je crois que tes paroles ne rendent pas exac- tement ta pensée ; tu feins de ne pas reconnaître sa beauté pour excuser ton extrême lâcheté. » Est-il un chevalier qui, venant à rencontrer, dans la forêt et seule, une dame si jeune et si belle, ne voulût la posséder ? » « Elle te convient si bien – dit Zerbin – que ce serait mal de te l’enlever. Pour moi, je ne serai pas assez indiscret pour jamais t’en priver. Jouis-en donc. » Si, pour un autre motif, tu veux éprouver ce que je vaux, je suis prêt à te le montrer ; mais ne me crois pas assez aveugle pour que je consente à rompre une seule lance pour elle. Qu’elle soit laide ou belle, garde-la ; je ne veux pas troubler la grande affection qui règne entre vous deux. Vous êtes très bien accou- plés ; je jurerais que tu es aussi vaillant qu’elle est belle. » Marphise lui répliqua : « Malgré toi, il faut que tu essaies de me l’enlever. Je ne souffrirai pas que tu aies vu un aussi – 438 –