charmant visage, et que tu ne tentes pas de le conquérir. » Zer- bin lui répondit : « Je ne vois pas pourquoi un homme s’exposerait au péril ou à l’ennui pour remporter une victoire dont le vaincu se réjouirait, tandis que le vainqueur en serait très fâché. » « Si cette proposition ne te paraît pas bonne – dit alors Marphise à Zerbin – je vais t’en faire une autre que tu ne dois pas refuser : si je suis vaincue par toi, cette dame me restera ; mais si je te renverse, force te sera de la prendre. Donc, voyons qui de nous deux doit en être débarrassé. Si tu perds la partie, tu devras l’accompagner partout où il lui plaira d’aller. » « Qu’il en soit ainsi, » répondit Zerbin ; et il fit aussitôt faire volte-face à son cheval pour prendre du champ. Puis se soulevant sur ses étriers, il s’affermit en selle, et pour ne point frapper à faux, il dirige sa lance droit au milieu du bouclier de la damoiselle ; mais il semble qu’il heurte une montagne de fer. Quant à la guerrière, elle se borne à le toucher seulement au casque, et l’envoie étourdi hors de selle. Zerbin ressent un vif déplaisir de sa chute ; pareille chose ne lui était encore arrivée en aucune rencontre ; il avait au contraire abattu mille et mille adversaires. Il en éprouve une honte ineffaçable. Longtemps il reste à terre, sans prononcer une parole. Son ennui est encore augmenté, quand il se souvient de la promesse qu’il a faite d’accompagner l’horrible vieille. La triomphante Marphise, restée en selle, revient vers lui, et lui dit en riant : « Je te présente cette dame, et plus je consi- dère sa grâce et sa beauté, plus je me réjouis de ce qu’elle t’appartienne. Remplace-moi donc comme son champion. Mais que le vent n’emporte pas ton serment, et n’oublie pas de lui servir de guide et d’escorte, comme tu l’as promis, partout où il lui plaira d’aller. » – 439 –