» Chaque tour reluit d’un acier si poli, que la rouille ni au- cune souillure ne peut le ternir. Nuit et jour, l’infâme voleur parcourt les environs, et puis il vient se cacher dans le château. Impossible de mettre à l’abri ce qu’il veut enlever. On ne peut que blasphémer en vain contre lui et maudire. C’est là qu’il tient ma dame, ou plutôt mon cœur, et de la recouvrer jamais, j’ai perdu tout espoir. » Hélas ! que puis-je autre chose que contempler de loin la roche où mon bien est enfermé ? Ainsi le renard, qui d’en bas entend son petit crier dans le nid de l’aigle, tourne tout autour et ne sait que faire, n’ayant pas des ailes pour s’élever en l’air. Ce rocher est tellement à pic, ainsi que le château, qu’on ne peut y atteindre, à moins d’être oiseau. » Pendant qu’ici je m’attardais, voici venir deux chevaliers qui avaient pour guide un nain, et pleins d’espérance et de vo- lonté. Mais vaine fut l’espérance et vaine la volonté. Tous deux étaient guerriers de grande audace. L’un était Gradasse, roi de Séricane ; et l’autre était Roger, vaillant jeune homme, fort es- timé à la cour africaine. » “Ils viennent – me dit le nain – pour éprouver leur cou- rage contre le seigneur de ce château, qui, par voie étrange, inu- sitée et nouvelle, chevauche tout armé sur un quadrupède ailé. – Eh ! seigneurs, – leur dis-je alors, – que ma malheureuse et cruelle destinée de pitié vous émeuve. Lorsque, comme j’en ai l’espoir, vous aurez vaincu, je vous prie de me rendre ma dame.” » Et je leur racontai comment elle me fut enlevée, confir- mant ma douleur par mes larmes. Ceux-ci me promirent forte- ment leur aide et descendirent la côte abrupte et raide. De loin je regardai la bataille, priant Dieu pour leur victoire. Il y avait, au-dessous du château, une plaine tout juste grande comme – 45 –