» Rien ne lui manquait cependant, si ce n’est la liberté de s’en aller. Pour tout le reste, on obéissait à ses ordres, comme s’il eût été libre. Mais cette infâme n’avait pas renoncé à ses pro- jets. Presque chaque jour elle descendait à la prison dont elle avait les clefs et qu’elle pouvait ouvrir à sa fantaisie. » Elle renouvelait sans cesse ses tentatives auprès de mon frère, et toujours avec une audace plus grande. “À quoi te sert ta fidélité – lui disait-elle – puisque chacun te croit perfide ? Quel glorieux triomphe, quel prix en retires-tu ? Quel mérite t’en re- vient-il, puisque chacun te jette l’injure comme à un traître ? » “Si tu m’avais accordé ce que je veux de toi, ton honneur n’eût pas été atteint. Supporte maintenant l’éclatante récom- pense de ta rigueur obstinée. Tu es en prison ; n’espère pas en sortir, à moins que tu ne consentes à adoucir tes premiers refus. Dès que tu auras satisfait à mes désirs, je te ferai rendre la liber- té et l’honneur.” » “Non, non – dit Filandre – n’espère pas me rendre jamais infidèle à l’amitié, quand bien même je ne devrais en retirer, contre toute justice, que la récompense la plus dure, quand bien même le monde me traiterait d’infâme. Il suffit qu’aux yeux de celui qui voit tout, et peut m’accorder en échange une grâce éternelle, mon innocence apparaisse dans toute sa clarté. » ”Si ce n’est pas assez pour Argée de me retenir prison- nier, qu’il m’arrache une vie qui me pèse. Le ciel ne me refusera sans doute pas la récompense d’une conduite méconnue sur la terre. Peut-être Argée, qui se croit outragé par moi, s’apercevra- t-il, quand mon âme aura quitté ce monde, de son injustice à mon égard, et pleurera-t-il son fidèle compagnon mort.” » C’est ainsi que cette femme éhontée renouvelle plusieurs fois ses tentatives auprès de Filandre, et toujours sans résultat. Mais, dans son désir aveugle, elle ne renonce pas à assouvir son – 450 –