était loin de se douter de son action, et qui ne s’en serait jamais douté. Ô chose étrange ! c’est en voulant le servir, qu’il fait à son ami ce qu’on fait à peine d’ordinaire à son ennemi le plus mor- tel. » Après qu’il a vu tomber celui qu’il n’a pas reconnu pour Argée, mon frère rend l’épée à Gabrine – c’est le nom de cette infâme, venue uniquement au monde pour trahir quiconque lui tombe sous la main. – Celle-ci, qui jusqu’à ce moment lui a ca- ché la vérité, lui met un flambeau à la main, et lui fait voir que celui qu’il a tué est son ami Argée. » Puis elle le menace, s’il ne consent pas à satisfaire l’amoureux désir qu’elle couve depuis si longtemps, de faire connaître à tous ce qu’il vient de faire et ce qu’il ne peut contre- dire. Elle le livrera à une mort honteuse, comme assassin et traî- tre. Elle ajoute que s’il tient peu à la vie, il doit tenir au moins à l’honneur. » Filandre, en s’apercevant de son erreur, reste stupéfait de douleur et de crainte. Dans le premier moment de fureur, il veut tuer Gabrine ; il est un moment sur le point, à défaut d’autres armes, de la déchirer avec les dents ; mais la raison l’arrête. » De même que le navire, fouetté en pleine mer par deux vents contraires, dont l’un le pousse en avant et l’autre le ra- mène à son point de départ, tourne sur lui-même jusqu’à ce que le plus puissant des deux l’entraîne enfin, ainsi Filandre, agité par deux pensées qui se combattent dans son esprit, prend le parti le moins dangereux. » La raison lui montre le grand péril qu’il court si le meur- tre vient à être connu dans le château. Outre la mort, c’est le déshonneur qui l’attend. Sa résolution est enfin prise ; qu’il le veuille ou non, il est forcé de boire l’amer calice ; la crainte l’emporte sur l’obstination dans son cœur désolé. – 454 –