joie. Ils regrettent seulement que les enchantements les aient empêchés de se reconnaître pendant qu’ils erraient sous le même toit et leur aient fait perdre tant d’heureux jours. Bradamante est disposée à donner à Roger toutes les fa- veurs qu’une vierge sage peut accorder à son amant, sans que l’honneur en soit atteint. Elle dit à Roger que s’il ne veut pas la voir rester toujours insensible et rebelle à ses derniers désirs, il doit la faire demander pour épouse à son père Aymon ; mais il faut auparavant qu’il reçoive le baptême. Non seulement Roger est prêt, pour l’amour d’elle, à vivre dans la foi chrétienne, comme autrefois son père, son aïeul et toute sa noble race, mais il donnerait sur-le-champ, pour lui faire plaisir, les jours qui lui restent à vivre : « Ce n’est pas seu- lement dans l’eau – lui dit-il – mais dans le feu que je plonge- rais au besoin ma tête, pour posséder ton amour. » Donc, pour recevoir le baptême et pour épouser ensuite sa dame, Roger se met en chemin. Bradamante le conduit à Val- lombreuse. C’est ainsi que se nommait une riche et belle abbaye, non moins renommée par sa piété que par la courtoisie avec laquelle était reçu quiconque y venait. Au sortir de la forêt, ils rencontrent une dame dont le visage annonce un profond cha- grin. Roger, toujours humain, toujours courtois envers tous, mais surtout envers les dames, n’a pas plus tôt vu les larmes couler le long du visage délicat de la dame, qu’il en a pitié et qu’il brûle du désir de connaître la cause de son affliction. Après lui avoir fait un respectueux salut, il lui demande pourquoi elle répand tant de larmes. Et elle, levant ses beaux yeux humides, lui répond sur un ton très doux, et lui expose le motif de sa peine amère. « Gentil seigneur – dit-elle – puisque tu le demandes, tu sauras que mes – 466 –